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Une vie de service : Regard du Dr Jean Anawati sur la médecine rurale et son espoir pour l’avenir

Posted on June 11, 2025
Dr. Anawati sits at desk filling out paperwork

Lorsque le Dr Jean Anawati a déménagé à Sturgeon Falls dans les années 1970, les médecins étaient rares. Ses collègues et lui étaient des personnes à tout faire : ils ont mis au monde des bébés, géré la salle d’urgence, fait des rondes à l’hôpital et fourni des soins à la communauté du début à la fin de la vie. La médecine rurale était exigeante; il fallait être polyvalent et avoir un profond sens des responsabilités. Malgré la pénurie de médecins dans la région, le Dr Anawati a surtout remarqué que les jeunes ne s’intéressaient pas à la formation dans les professions de la santé dans la région : « J’ai demandé aux conseillers d’orientation pourquoi personne n’envisageait des études en médecine. Ils m’ont dit que ‘Les gens ici deviennent mécaniciens, agriculteurs et bûcherons’, à quoi j’ai répondu ‘Tout le monde n’est pas né pour être bûcheron’ ».

C’était cette ferme conviction du Dr Anawati et de quelques collègues que les jeunes du Nord de l’Ontario pouvaient devenir médecins qui allait changer la communauté de Nipissing Ouest. Cette certitude allait profiter à tout le Nord de l’Ontario et orienter la région vers un avenir meilleur. Ils ont affirmé que les soins de santé ne consistaient pas seulement à traiter des patients mais à répondre aux besoins sociaux et fonctionnels d’une communauté, idée qui allait inspirer des initiatives fort nécessaires dans toute la région.

Lorsque le Dr Anawati est arrivé dans le Nord de l’Ontario pour exercer, les jeunes n’avaient guère d’autre choix que de déménager dans le sud de l’Ontario pour profiter des possibilités. Cela signifiait souvent que beaucoup de diplômés en médecine du Nord de l’Ontario n’y revenaient pas après leur résidence. À son avis, ce qui devait arriver était clair : offrir la formation médicale dans le Nord pour le Nord. En outre, les services pour les communautés francophones et des Premières Nations de la région manquaient terriblement, ce qui signifiait qu’une solution qui répondait aux besoins de tout le monde dans la communauté était de la plus haute priorité.

Un collègue l’a invité à participer à la mise sur pied de ce qui allait devenir l’Université de l’EMNO. Un des deux membres bilingues du groupe, il a eu l’occasion de défendre la cause des Franco-ontariens en insistant sur l’importance d’un programme bilingue de médecine familiale. La Northeastern Ontario Medical Education Corporation (NOMEC) a marqué le début d’un effort pour former des médecins de famille dans le Nord de l’Ontario, mais la nécessité d’implanter un établissement permanent d’enseignement axé sur le Nord et la médecine rurale est devenue claire.

« Les choses ont évolué naturellement, explique-t-il. Au début, nous pensions que l’École de médecine du Nord de l’Ontario pourrait être simplement une faculté de l’Université Laurentienne et de la Lakehead University. Mais nous savions que l’autonomie était toujours dans la ligne de mire, l’autonomie de gérer nos programmes, taillés sur mesure pour le Nord, par des gens du Nord. Nous n’étions pas des politiciens; nous étions juste des gens qui voulaient améliorer les soins de santé dans nos communautés. Ce qui comptait, c’était que nous formions des médecins et qu’ils choisissent d’exercer dans le Nord. »

Pour ce fier membre de la grande communauté francophone de l’Ontario, la formation de médecins francophones était vitale pour répondre aux besoins des communautés de la région : « Nous avons créé le Groupe consultatif francophone et veillé à ce que les programmes de résidence de l’EMNO incluent des communautés francophones. La meilleure façon de servir les Franco-ontariens était de former des Franco-ontariens. Nous avons fait des progrès, mais nous devons en faire davantage ».

Même si seulement 5 % de la population ontarienne est francophone, environs 25 % de la population du Nord de l’Ontario parle français. « Si vous regardez les autres universités ontariennes, seulement 5 % de leur population étudiante pourrait être francophone. À l’Université de l’EMNO, le chiffre est plutôt de 15% ce qui ne reflète pas totalement notre population francophone. Il y a encore de la place pour encourager les habitants francophones du Nord de l’Ontario à poser leur candidature à l’école de médecine pour refléter ces 25 % dans nos admissions. »

La solution est simple : « Si vous êtes francophone, entreprenez votre formation dans une communauté francophone. Si vous êtes Autochtones, faites de même dans une communauté autochtone. C’est ce dont nous avons besoin, des gens de ces communautés qui deviennent médecins et retournent les servir ».

Il n’était pas le seul fervent défenseur de la communauté. En fait, toute sa famille s’est engagée. Son épouse, Jocelyne Anawati, et lui pensaient qu’être dans le domaine des soins de santé signifiait s’engager dans la communauté et pas seulement fournir des soins médicaux.

« Mon épouse était infirmière originaire de North Bay et connaissait fort bien les réalités de la vie dans le Nord. En tant qu’infirmière aux soins intensifs, elle a souvent constaté les défis que les patients rencontraient quand ils ne pouvaient pas communiquer dans leur langue maternelle durant les moments les plus critiques et stressants de leur vie. » Le Dr Anawati explique que Jocelyne était une femme accomplie et engagée dans sa communauté : « Par exemple, je n’ai pas grandi avec le hockey. Je suis né en Égypte où le sport ne faisait pas partie de notre culture. Cependant, dans la salle d’urgence, nous avons vu les résultats des blessures liées au hockey. De plus, à Sturgeon Falls, à ce moment-là, la nouvelle piscine était sous-utilisée. Mon épouse et un groupe de collègues infirmières ont pris l’initiative de former une équipe de natation, qui existe encore aujourd’hui et offre aux jeunes davantage d’options sportives ».

Jocelyne a fini par laisser son poste d’infirmière aux soins intensifs pour s’occuper du cabinet du Dr Anawati. « Quand nous avions des étudiants et des résidents dans notre communauté, nous tenions à les accueillir chez nous. Chaque mercredi soir, nous les invitions à dîner avec nos enfants. Certains, y compris quelques-uns de Sudbury, passaient la soirée avec nous afin de se sentir plus chez eux durant leurs stages. D’autres vivaient tous près de chez nous et savaient qu’ils pouvaient passer s’ils avaient besoin de quelque chose. Ma femme est devenue leur mère adoptive en quelque sorte. »

À l’occasion du 20e anniversaire de l’Université de l’EMNO en 2025, le Dr Anawati a été invité à partager ses espoirs et sa vision pour les 20 prochaines années.

« Les médecins ont trop de tâches administratives; il faut régler cela. Le travail en solo conduit aussi à l’épuisement professionnel. Il est temps qu’une nouvelle génération prenne les choses en main. J’ai fait ma part pendant longtemps et même si j’ai encore beaucoup de visions pour l’avenir, il doit évoluer avec la nouvelle génération de médecins. Nous devons augmenter le nombre d’étudiants et de résidents, surtout de médecins de famille francophones. Et nous devons augmenter le nombre d’étudiants francophones et les intégrer pleinement dans la communauté. J’ai veillé à ce que les résidents passent du temps avec l’infirmière et le pharmacien locaux. Je les ai exposés au refuge pour femmes, à l’Association d’intégration communautaire (Community Living Association), et à d’autres services de la communauté afin qu’ils comprennent bien leurs rôles et responsabilités envers toute la communauté et pas seulement envers leurs patients. »

Enfin, le Dr Anawati a conseillé aux futurs étudiants en médecine : « Si vous voyez qu’il manque un service, regroupez des gens qui pensent comme vous et créez-le. Mais souvenez-vous d’une chose : si vous ouvrez une porte, soyez prêts à faire face à ce qu’il y a derrière. N’allez pas dans la communauté en pensant que vous avez la solution à tout. Vous devez travailler avec les membres de cette communauté pour la trouver ».

Le Dr Jean Anawati a créé la Bourse Dr Jean Anawati en 2006. En souvenir de son épouse, Jocelyne, il a généreusement enrichit sa contribution en février 2025 pour parvenir au total de plus de 100 000 $. Cette bourse profite à des étudiants en médecine à temps plein à l’Université de l’EMNO qui ont des liens avec Nipissing Ouest et la communauté franco-ontarienne.